Salaire brut et net en Suisse: mythes vs réalités
Le marché du travail suisse fait rêver avec ses hauts salaires, mais le pouvoir d’achat qui en découle doit être un peu relativisé…
Les salaires suisses sont réputés parmi les plus élevés d’Europe, de quoi faire des envieux! Mais tous les salaires suisses sont-ils vraiment plus élevés qu’ailleurs? Paie-t-on vraiment moins d’impôts et de cotisations sociales en Suisse? Autrement dit, la différence entre salaire brut et salaire net est-elle si mince que ça? In fine, a-t-on un meilleur pouvoir d’achat avec un salaire net en Suisse qu’avec un salaire net en France? Dans cet article, on décortique les mythes et réalités autour des salaires suisses!
Les salaires suisses: des chiffres qui font rêver
La Suisse est connue pour ses (très) hauts salaires. Que l’on s’intéresse aux revenus les plus bas ou aux revenus les plus hauts, et quel que soit l’indicateur qu’on utilise, le verdict est sans appel: les salaires suisses sont largement plus élevé qu’ailleurs, et notamment par rapport à la France voisine.
Un salaire médian 2,5 fois plus élevé en Suisse qu’en France
En statistique, on utilise souvent la médiane pour comparer les salaires (50% des salaires sont plus élevés que la médiane, et 50% sont moins élevés). Selon l’Office fédéral de la statistique, le salaire médian mensuel suisse était de CHF 6.788.- pour un temps plein en 2022, ce qui correspond à plus de 81.400 francs annuel.
Attention: ces chiffres concernent les salaires bruts, et non les salaires nets. Comme on va le voir, la différence entre un salaire brut et un salaire net en Suisse n’est pas négligeable.
Les salaires suisses paraissent bien supérieurs lorsqu’on les compare aux salaires français. En effet, le salaire médian mensuel français était de 2.100 euros pour un temps plein en 2022. Il s’agit du chiffre net, qui correspond à moins de 2.800 euros bruts mensuel, soit environ 33.200 euros bruts par an. Le salaire brut médian est donc 2,5 fois plus élevé en Suisse qu’en France.
Le SMIC: un outil intéressant pour comparer les salaires
Le SMIC, instauré dans la plupart des pays européens, est aussi un bon indicateur quand il s’agit de comparer les salaires. Le problème, c’est qu’il n’existe pas de SMIC en Suisse, du moins niveau fédéral. En revanche, les cantons peuvent prendre l’initiative de fixer librement un salaire minimum. Seuls cinq d’entre eux l’ont fait: Genève, Neuchâtel, Jura, Tessin et Bâle-Ville.
Bon à savoir: pour certaines branches professionnelles, des salaires minimaux peuvent également être définis dans des conventions collectives (CCT) et des contrats-types de travail (CTT), comme pour les métiers de l’hôtellerie restauration par exemple.
Le salaire minimum du canton de Genève est l’un des plus élevés au monde: 24,32 CHF brut de l’heure (au 1er janvier 2024), soit plus de 4.000 francs pour un temps plein. Dans les cantons de Neuchâtel, du Jura, du Tessin et de Bâle-Ville, le salaire minimum tourne autour de 20 CHF brut de l’heure. À titre de comparaison, le SMIC français fait pâle figure avec ses 11,65 euros brut de l’heure (au 1er janvier 2024). L’écart entre les salaires suisses et français est donc immense: le salaire minimum genevois dépasse le seuil de richesse en France.
De fortes disparités entre les salaires suisses
Bien que les hauts salaires suisses fassent rêver lorsque l’on est habitués aux salaires français, ils cachent en réalité de fortes disparités. Comme partout ailleurs, les salaires suisses sont influencés par les niveaux de qualifications et les domaines professionnels, mais pas seulement.
Les variables qui expliquent les inégalités de salaires en Suisse
En Suisse comme ailleurs, les inégalités de salaire tiennent avant tout au métier exercé. Le niveau de qualification (expérience professionnelle et niveau de diplôme) et le domaine professionnel sont ainsi les principales sources d’inégalité salariale. Le marché du travail suisse n’échappe pas non plus à l’importance des variables sociologiques: les salaires fluctuent selon l’âge, le sexe, l’origine…
Comme partout, les salaires suisses ne sont pas les mêmes en fonction des régions, mais le poids politique des cantons exacerbe cette inégalité géographique. Les lois cantonales peuvent en effet directement impacter les niveaux de salaires, comme avec le salaire minimum. Ainsi:
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Les salaires les plus élevés se trouvent dans les cantons alémaniques, au nord du pays,
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Les cantons alpins (Grison, Valais, Tessin) affichent des salaires parmi les plus modestes,
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Les salaires de la Suisse Romande sont également assez bas, à l’exception de Genève et du canton de Vaud.
Des salaires plus bas pour les travailleurs frontaliers
Les travailleurs frontaliers sont les personnes qui habitent en France et travaillent en Suisse, situation assez particulière qui engendre à la fois des avantages et des inconvénients. En particulier, le salaire d’un travailleur frontalier est presque systématiquement plus bas que celui d’un résident (mais presque systématiquement plus haut qu’en France, rappelons-le).
Le saviez-vous: il existe un permis de travail spécifique pour les travailleurs frontaliers: le permis G.
Les inégalités de salaires ne sont pas les seuls désavantages des travailleurs frontaliers sur le marché du travail. En général, s’ils n’ont encore jamais travaillé sur le territoire suisse, ils peuvent rencontrer des difficultés à se faire embaucher, par comparaison à une personne résidente en Suisse. C’est l’une des raisons pour lesquelles certains travailleurs préfèrent déménager en Suisse plutôt que de rester frontalier.
Le calculateur fédéral: un outil pour négocier votre salaire
Avec toutes ces variables, il peut être difficile de savoir si vous êtes vraiment bien payé, ou à quel salaire vous pourriez prétendre. Les autorités fédérales suisses ont donc mis au point un calculateur de salaires en ligne. Ce calculateur s’appuie sur des statistiques en fonction des métiers, des niveaux de qualification, des domaines professionnels, des cantons, etc.
Si vous envisagez d’aller travailler en Suisse ou de changer de travail, pensez à utiliser ce calculateur de salaires. Il vous permettra de savoir combien gagnent les personnes qui occupent un emploi similaire au votre, et peut même vous servir à négocier votre salaire avec votre futur employeur!
Du salaire brut au salaire net: imposition et cotisations sociales
C’est bien connu: en Suisse, on paie moins d’impôts et moins de cotisations sociales qu’en France. Mais cela ne veut pas dire que le salaire net égale le salaire brut! Les prélèvements obligatoires font sensiblement baisser les salaires, en Suisse comme ailleurs.
Des cotisations sociales directement prélevées sur le salaire brut
En Suisse aussi, on paie des cotisations sociales! Et elles sont directement retenues sur votre salaire brut. Pour obtenir votre salaire net, il faudra donc lui soustraire (taux applicables en 2024):
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Le premier pilier (AVS, AI, APG): 5,3% de votre salaire brut,
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L’assurance chômage: 1,1% de votre salaire brut,
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Le deuxième pilier (LPP): entre 3,5% et 9% de votre salaire brut minimum, selon votre âge,
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L’assurance accidents non professionnels (LAA): le taux varie en fonction de l’assurance de votre employeur.
D’autres cotisations peuvent être retenues sur votre salaire brut en fonction de votre situation. Par exemple, le canton de Genève a mis en place 16 semaines de congés maternité (au lieu de 14 dans les autres cantons). Si vous y travaillez, vous payez donc une cotisation supplémentaire appelée assurance maternité qui représente 0,076% de votre salaire brut.
L’impôt en Suisse: prélèvement à la source ou déclaration d’impôt?
En Suisse aussi, on paie des impôts! Et comme ailleurs, y compris en France, votre taux d’imposition dépend de deux facteurs principaux:
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Vos revenus: plus vous gagnez, plus vous payez (système de paliers),
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Votre situation familiale: situation matrimoniale, nombre d’enfants, etc.
Mais le système d’imposition suisse n’est pas uniforme: il dépend de chaque canton, et peut changer selon votre situation. Si vous êtes imposé à la source, vos impôts seront directement prélevés de votre salaire brut (comme les cotisations sociales) et vous recevrez votre salaire net en fin de mois. En revanche, si vous êtes soumis à la déclaration d’impôts, vous devez déclarer vos revenus tous les ans et payer le taux associé en une seule fois, ou par le biais d’acomptes, une dépense à prévoir dans votre budget!
Peut-on calculer son salaire net en Suisse?
Il existe de nombreux simulateurs en ligne permettant de calculer votre salaire net à partir de votre salaire brut. Ils sont pour la plupart assez peu précis et ne peuvent vous donner qu’une vague idée de ce qu’il vous restera après les cotisations sociales et les impôts.
Le seul document vous permettant de savoir exactement quel est votre salaire net est le certificat de salaire. Votre employeur vous le remet obligatoirement à la fin de chaque année civile (c’est d’ailleurs un document utile pour le fisc, à conserver précieusement). Il détaille:
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Les salaires nets perçus pendant l’année,
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Les cotisations sociales prélevées pendant l’année,
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Les retenues de l’impôt à la source (si vous êtes concerné par l’impôt à la source).
Des «prélèvements cachés» qui diminuent le salaire net en Suisse
Le fait de payer moins de cotisations sociales en Suisse a également un désavantage: un système social moins développé, qui induit des frais supplémentaires. Il faut penser que ces frais plus ou moins inévitables seront déduits de votre salaire net après les cotisations retenues sur votre salaire brut.
L’assurance maladie: des frais supplémentaires incontournables
Toute personne doit obligatoirement être affiliée à un système d’assurance maladie. En France, l’assurance maladie fait partie de la Sécurité Sociale, c’est-à-dire que les cotisations sont directement retenues sur votre salaire. Par contre, en Suisse, il est de la responsabilité de chacun de souscrire l’assurance maladie de son choix, et de payer en conséquence une prime d’assurance maladie chaque mois.
Cette liberté de choisir son assurance maladie en Suisse peut être bénéfique, puisque chacun peut souscrire une assurance qui répond à ses besoins. Mais quelle que soit l’option choisie, les coûts peuvent vite devenir très élevés et restent généralement incontournables, comme une cotisation supplémentaire à déduire de votre salaire net.
Le saviez-vous? Concernant l’assurance maladie, les travailleurs frontaliers peuvent choisir entre le système suisse et le système français, ce qui s’appelle le droit d’option.
Le 3e pilier, ou comment s’assurer une retraite plus confortable
Pour rappel, le système de retraite suisse est divisé en trois piliers:
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Le premier pilier est la partie obligatoire et universelle de la retraite,
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Le deuxième pilier est la partie professionnelle de la retraite,
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Le troisième pilier est la partie libre et individuelle de la retraite.
Comme on l’a vu plus haut, les premier et deuxième piliers sont directement prélevés de votre salaire brut en Suisse: vous cotisez donc automatiquement pour votre retraite. Mais ces cotisations ne représentent que des rentes très limitées qui ne permettent pas toujours de vivre dignement.
La plupart des gens qui travaillent en suisse ouvrent donc un troisième pilier afin d’augmenter leur rente une fois à la retraite. Or, l’entretien de votre troisième pilier est entièrement à vos frais et n’est pas inclus dans vos cotisations. Vous devez ainsi prévoir de placer de l’argent dessus régulièrement (en général tous les mois), comme une cotisation supplémentaire à déduire de votre salaire net. L’avantage toutefois est que le montant que vous avez cotisé au titre d’un troisième pilier est généralement déductible fiscalement.
Conclusion: des salaires plus élevés qu’en France, mais…
Alors, les salaires suisses sont-ils aussi élevés qu’on le dit ? La réponse est sans aucun doute oui. Bien que tous les salaires suisses ne se valent pas, ils sont en général largement plus élevés que dans le reste de l’Europe, et en particulier par rapport à la France voisine.
En revanche, les impôts et les cotisations sociales sont trop souvent minimisés en Suisse. Ils restent dans la plupart des cas relativement faibles, mais amputent tout de même les salaires bruts de manière significative. Et c’est sans compter les «prélèvements cachés» que l’on est obligé de payer en plus, réduisant ainsi le salaire net. Malgré ces coûts supplémentaires, les salaires suisses restent généralement plus élevés qu’ailleurs, que ce soit en brut, en net ou en «réel».
Là où il faut vraiment relativiser les hauts salaires suisses, c’est en les comparants au coût de la vie extrêmement élevé dans tout le pays. En effet, les salaires suisses sont finalement assez proportionnels au coût de la vie en Suisse, tout comme les salaires français sont proportionnels au coût de la vie en France. Ainsi, et malgré les très hauts salaires, le pouvoir d’achat n’est donc pas forcément plus élevé en Suisse qu’ailleurs.